Ton amie, toujours.

Montréal, le 24 novembre 2022
Mathilde. 

J’ai un document intitulé « phrases » dans mon ordi. Il a été créé le 12 octobre 2019. Il fait maintenant 96 pages. Je t’écris cette lettre sur la 96ième page. 

Je ne sais pas quoi dire. Je suis rongée. Par quoi ? je ne sais pas mais rongée est le mot. Il y a ce nuage qui pousse contre la paroi de mon crâne. J’ai mal à la tête je suis un peu perdue. Je t’écris et j’ai fumé. Indica ou pas cette semaine je dors en moyenne quatre heures par nuit. Je pense fumer encore, au moins pour oublier le crâne. Comment oublier le crâne ? question d’une vie…

J’écris beaucoup de choses dans ce document. De la prose, de la poésie, des mots que j’aime auxquels je veux penser et revenir, toutes les entrées de ce blogue, des lettres, des listes de choses à acheter, des listes de choses qui vont mal, des prières. La plupart des choses ne font pas sens et se répètent constamment. Plus de la moitié de ces pages ont été écrites ces trois derniers mois. 

Les mots sont comme des billes, ils cognent en moi. Quand j’ai vu la date d’aujourd’hui mon ventre a chuté. Dans deux jours, il est mort depuis un an et j’ai presque oublié. Puis j’ai vu la date de ton dernier message et je me suis sentie encore plus mal. Le temps m’échappe, comme tout le reste. 


Montréal, le 27 novembre 2022
Mon amie, 

J’ai essayé de t’écrire à plusieurs reprises mais j’ai trop honte. J’emprunte des détours. Je t’écris ici où je ne suis rien ni personne – libre et loin des regards. Je t’écris comme j’écris à Dieu, derrière la barrière du papier. J’ai arrêté de prier depuis plus de quatre ans. L’autre jour, je suis tombée sur un ancien carnet, il y avait la première prière que j’ai écrite. J’ai eu pitié de moi, du désespoir qui me rongeait déjà à cet âge vulnérable. Aujourd’hui, mes prières à Dieu ont pris la forme de poèmes. C'est déjà un peu plus lumineux. Je me dis que s’il y a bien quelqu’un qui puisse y comprendre quelque chose ce doit être lui. Pas besoin de traduire. 

Ce soir je suis sobre fatiguée mais sobre et je ne sais toujours pas quoi dire. Je suis désolée. J’ai envie de te voir. J’ai envie que tu me vois. J’ai envie de dormir dans tes bras et de vivre nos fantasmes adolescents. J’ai envie de rebrousser chemin et de te retrouver là où tout avait encore un poids. Tu es la première personne qui a éveillé en moi l’envie d’aimer et je ne pense pas te l’avoir dit clairement. J’étais amoureuse de toi, du visage mystérieux que ma mémoire t’attribuait. 

J’ai beaucoup souffert de notre éloignement. Au lieu de pleurer j’ai construit des théories sur l’amour et la solitude inévitable, je m’en suis convaincue. J’ai choisis la philosophie objective et universelle de la condition humaine. C’est comme ça, quelque chose en moi aime être dramatique depuis l’enfance. J’aurais dû choisir le théâtre et pas la littérature. J’aurais peut-être pu mimer mes prières à Dieu. 

Je ne l’ai jamais réellement formulé à toi ou à moi mais à 17 ans, j’ai fait le deuil définitif de nous. Depuis, je traîne dans ce restant d’amitié comme je traîne dans ma foi confuse en Dieu. Avec un sentiment d’incertitude, de honte et de culpabilité. Avec l’impossibilité de te rejoindre parce que je ne suis plus la même. J’y traîne comme dans une eau stagnante et pourrie, comme dans des marais où je m’enfonce. 

Mathilde je ne veux pas te perdre comme je ne veux pas perdre Dieu même si tout ce que je fais depuis des années dit le contraire mais je veux te retrouver dans quelque chose de vrai, dans un espace à nous où je peux être qui je suis aujourd’hui avec tout le tracé du passé que je refuse de rejeter. Le grand vide de ma vie est à combler et j’en tremble souvent. Je ne sais pas pas où commencer et j'ai besoin qu'on me guide. Dis-moi où te retrouver.

Les grandes lignes de mon quotidien changent. Je lis beaucoup. Je suis en thérapie intensive. Je danse pour vrai. J'ai des choses à droite et à gauche et on s'intéresse peut-être enfin de façon sérieuse à mon art, à mon potentiel. Depuis un temps maintenant je trouve inutile de raconter ma vie. J'y ai renoncé. Elle n’est pas racontable, résumable. Les étrangers que je rencontre, dorénavant plus que jamais, n’ont le droit qu’à l’immédiat de qui je suis. Pour les gens que j’aime et apprécie, il y a l’intimité de ma poésie. Je l’écris avec le corps parce que je ne sais pas faire de théâtre. Faute de quelque chose de mieux à dire, je te laisse lire entre les lignes de cette lettre et de l'espace ici. Mon document «phrases» fait maintenant officiellement cent pages. 


Page 2
J’ai tué l’enfant en regardant trop longtemps les nuages. J’ai porté violence à l’ignorance, j’ai voulu voir, toucher, j’ai voulu monter et grimper la grille, me pendre comme du linge à sécher sur les fils d’un balcon éteint. 

Page 21
j’ai l’envie des égouts 
comme l’envie des lits 
j’ai l’espoir 
pour les fourmis
pour les termites
j’ai l’espoir 
pour ceux qui pourrissent en bas
je rêve de toits qui abritent 
de toits non comestibles 
j’ai le regard porté sur des enfants blonds propres
sur des mains entières 
des jambes 
entières 

Page 22
Pour oublier que je suis seule, je m’amuse avec la solitude des autres...

Page 38
- La figure du martyr 
- Flambeau ( ?)
- Surdose
- Loop-lucidité

Page 44
Au café. Homme vieux trop tactile avec jeune femme. Elle parle au téléphone, il lui masse la main. Respire fort. Rien d’explicitement sexuel mais dérangeant. Elle se laisse faire, voix d’enfant, sourire niais. Troublée, dégoûtée, excitée, pitié de cette femme. Je n’arrive pas à écrire. Déjà vingt minutes. Peur de rêver à ce couple cette nuit. Rester réveillée pour vomir, au cas où.

Page 49
Le vide en moi pourrait construire des maisons 

Page 53
Knuckles volcanoes 
Knuck me down
Steamed caress
Stillness stilettos

Page 67
Je m’arrive de tous les côtés
Cowboys déchaînés sur chevaux déchaînés 
Le moi qui perd, serais-je celui-ci ?
Unis dans la perte de la perte
Mon ami, à me détruire 
Participeras-tu ? 

Page 70
Déboule déboule déboule 
Reste debout mais déboule
Bonne fille tulipe

Page 72
Je rêve d’une vie plus simple où je serais seulement une femme pauvre et misérable devant des fenêtres pauvres et misérables, pourquoi m’avoir ôté de ce destin fabuleux de l’ignorance, pourquoi m’avoir privé du soleil et de la lumière de la fatigue jaune? je cherche les escaliers froids de l’été, le drame d’une vie quotidienne, les fantômes d’un jardin voisin, je suis perdue dans des rideaux fanés, j’ai peur tellement peur de m’endormir…

Page 74
Je suis en retard sur mon retard
Dégoulinante de dégâts 

Page 81
fuites à la troisième personne des souvenirs 
trop occupée pour retourner à moi-même 
j’ai choisis un camp adversaire à moi
mais je me fais confiance 
pour tirer la première 
et mourir
de toutes les façons

Page 86
Rire d’hyène, pleurs d’enfant
Équivalences. 

Page 88
respiration du poumon mort 
brûlure du passage caoutchouc 
tuyaux internes instruments

Page 89
en cordes je jouis
à ma place dans mon corps 
j’enfile mon épiderme 
comme un retour espéré 
féroce est la voix 
qui dit « encore » 
attachée accordée faux 
une bouche gémit en pleurs

Page 91
j’ai peur de mourir sur le seuil 
de mes propres défenses 
comment porter l’armure
qui protège le corps de son corps ? 

Page 91 (bis)
je tremble du haut de mes sept ans 
comme une grande fille étoile 
je suis dans les coulisses de la grandeur 
à répéter comme une enfant qui joue un ange
avec le sérieux d’une guerre

Page 93
J’aurais seulement voulu que tu m’enlaces 
Bébé singe, bébé loutre 
Je ris, je suis bouche bée 
Des amours découverts en moi

Page 94 
Marie M, novembre, pense que sera ma chanson pref : https://www.youtube.com/watch?v=KVtpsL7vrVU 
Un ami (mon meilleur)
m’a dit qu’un jour il avait vu en elle
tout comme il avait vu en lui-même
il a vu un chemin vers quelque chose
il a vu un chemin vers quelque chose d’elle

Page 95 
sept est la perfection d’un âge oublié 
à reconquérir 

Page 95 (bis)
My love find truth in beauty
as much as you find beauty in truth

Page 100
Je t’aime
je pense à toi
et j'aimerais bientôt te revoir.

Ton amie, toujours.
E.





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